De cœur et de raison : entretien avec Fabien Maistre

Entretien avec Fabien Maistre

Jean-François Thibault (JFT) : Bonjour Fabien, je vous remercie d’avoir accepté cet entretien. Vous êtes ingénieur junior et conseiller en transition énergétique chez Alterum. Vous comptez plus de 3 années d’expérience en ingénierie énergétique ainsi qu’en développement logiciel dans le secteur de l’énergie et de l’environnement. Finalement, vous détenez une maîtrise en génie énergétique (M.Ing.) de Polytechnique Montréal que vous avez effectuée selon la formule du double diplôme, en partenariat avec l’École Nationale Supérieure des Mines de Douai en France.

Pourquoi avez-vous décidé d’étudier en génie énergétique ? Quels sont les sujets qui suscitaient le plus votre intérêt lors de vos études de maîtrise ?

Fabien Maistre (FM) : J’ai toujours voulu travailler dans un domaine dans lequel il y a une volonté constante de résoudre des problématiques en se surpassant et en élargissant ces connaissances. Étant particulièrement à l’aise avec les notions de sciences dures et techniques, je me suis naturellement tourné vers les études en génie. Mes études ont confirmé que le domaine du génie est au cœur de la résolution de problématiques contemporaines grâce à des méthodes orientées vers des solutions techniques et durables. Une vision qui est en accord avec celle que je me faisais du monde actif.

Après avoir essayé plusieurs domaines du génie lors de ma formation en France, je me suis tourné vers celui de l’énergie. En effet, l’efficacité énergétique, l’optimisation des systèmes énergétiques ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont des sujets d’actualité qui me passionnent. 

Dans de nombreux domaines, l’énergie n’est pas utilisée de façon optimale et des pertes énergétiques apparaissent à tous les niveaux : de la production de l’énergie, en passant par son transport et jusqu’à son utilisation. Étudier des méthodes et des technologies permettant de limiter ces pertes, d’économiser des coûts et de réduire les émissions de GES est pour moi une source de motivation. C’est également une manière de participer à un enjeu plus global axé sur le développement de nouvelles pratiques et technologies plus résilientes et durables.

JFT : Pourquoi avez-vous décidé de faire un double diplôme ? Pourquoi le faire en partenariat avec une université canadienne ?

FM : Le double diplôme a été pour moi l’occasion de diversifier mes compétences et mes connaissances dans le génie. Choisir de le faire dans un autre pays m'a permis de découvrir un autre mode d’enseignement ainsi qu’une nouvelle culture. Le Canada a toujours été un pays attrayant de par ces immenses espaces naturels que j’avais envie de parcourir à travers des grandes randonnées. Quand j’ai vu qu’il y avait une maîtrise en génie énergétique à Polytechnique Montréal, je me suis rapidement renseigné pour venir y finir mes études.

JFT : Y a-t-il des différences majeures entre l’enseignement de l’ingénierie en Europe et au Canada ? Si oui, quelles sont selon vous les différences fondamentales ?

FM : Selon moi, la plus grande différence entre l’enseignement des deux pays est la multidisciplinarité versus la spécialisation. Au Québec, l’enseignement se concentre sur une spécialité alors qu’en France il est possible de suivre une formation avec une approche multidisciplinaire. Par exemple, ma formation française me permet d’exercer en France en tant qu’ingénieur généraliste, c'est-à-dire de travailler aussi bien sur des projets en mécanique que sur des projets en énergie. Au Québec, les ingénieurs sont plus spécialisés, et développent leurs compétences dans un domaine précis.

JFT : Pendant vos études de maîtrise, vous effectuez un stage chez Energie Solutions Air (ESA), une jeune pousse originaire de la ville de Sherbrooke, en Estrie. Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer auprès d’une entreprise en démarrage plutôt qu’une firme établie ? Avez-vous toujours été attiré par l’entrepreneuriat ?

FM : Le projet d’ESA est de commercialiser un nouvel échangeur de chaleur afin d’améliorer le confort des animaux à l’intérieur des poulaillers et d’augmenter l’efficacité du chauffage des espaces. C’est une technologie très innovante, dans un marché où tous les éleveurs utilisent énormément d'énergie de façon inefficace. Quand je les ai rejoints, ils n’étaient que deux employés à temps plein et un employé à temps partiel. Ils avaient besoin d’une personne pour définir les étapes d’assemblage des échangeurs d’air et pour mettre en place la chaîne de production permettant la commercialisation du produit final. Travailler dans une petite équipe m’a poussé à devenir rapidement autonome et confiant dans mes prises de décisions. Je n’étais pas cantonné à une seule tâche, chaque journée était différente et il fallait toujours s’adapter à de nouveaux défis. C’est cette façon de travailler, basée sur la diversification des tâches et l’autonomie, propre à l’entrepreunariat et aux petites structures, que j’apprécie particulièrement.

JFT : A la suite de votre diplomation, vous rejoignez Alterum. Dans quel contexte et pourquoi avez-vous décidé de vous joindre à l’entreprise ?

FM : J’ai d’abord rejoint Alterum afin de travailler sur le projet Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) - Décarbonation du Grand Nord Canadien. Ce projet qui mêlait à la fois une approche sociale, aider les communautés Inuits à redevenir indépendantes dans leur situation énergétique, et un défi technique, trouver des solutions adaptées au froid polaire, m’ont convaincu de rejoindre Alterum. Dans le même temps, Alterum développait une plateforme permettant de simuler des micro-réseaux électriques dans le but de simplifier la prise de décisions en matière d’énergie et de réduire la dépendance aux énergies fossiles. L’aspect novateur de cette nouvelle technologie m’attirait particulièrement. Aujourd’hui, Alterum développe une plateforme web qui accompagne les organisations dans leur décarbonation. Notre technologie permet de proposer aux entreprises et aux municipalités des solutions qui correspondent à leurs besoins tout en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre. Ce projet est stimulant, car il propose une solution concrète dans le combat contre les changements climatiques.

Pour finir, en plus de pouvoir travailler dans un secteur qui me passionne, travailler dans une start-up est un enrichissement permanent et me permet d’en apprendre plus dans de nouveaux domaines, tel que le management, le partenariat ou encore la gestion de projet.

JFT : Depuis votre arrivée chez Alterum, vous travaillez sur plusieurs projets d’ingénierie en plus de contribuer au développement du produit logiciel. Quel projet vous en a le plus appris sur le secteur énergétique canadien ? Expliquez.

FM : Un projet qui a été particulièrement marquant est celui en collaboration avec le gouvernement RCAANC, qui avait pour but de préparer des plans de décarbonation pour les communautés Inuit dans le Nord du Canada. Ces communautés dépendent presque exclusivement du pétrole pour se chauffer et s’éclairer. C’est notamment le cas dans les villages du Nunavik situé dans le nord du Québec qui ne profitent pas de l’hydroélectricité contrairement au reste de la province. Pour décarboner l’énergie de ces communautés, nous avons étudié plusieurs technologies. C’est réellement lors de ce projet que j’ai réalisé qu'il était important de prendre le contexte local dans son ensemble avant de mettre en place une solution, car chaque situation implique des stratégies différentes. Par exemple, il est souvent prôné d’électrifier le chauffage pour réduire les émissions de GES, si cette solution convient aux communautés se trouvant au sud du territoire du Nunavik, dans le nord, électrifier le chauffage ne serait pertinent que seulement si une grosse production d’énergie renouvelable était disponible. Or, les conditions climatiques et environnementales ne permettent pas une énergie renouvelable locale et économiquement viable. En effet, pendant l’hiver, ces communautés ont moins d’une heure de soleil par jour, rendant la production d’électricité avec des panneaux solaires photovoltaïques quasi nulle pendant plusieurs mois. Ainsi, malgré l’absence de forêt dans ces régions, il est, à ce jour, préférable de remplacer le mazout par de la biomasse même si elle doit être importée.

JFT : Lors de vos études en France, vous avez été fortement impliqué dans la vie étudiante. Aimeriez-vous renouer avec le bénévolat, ici au Canada ? Par quelles opportunités vous laisseriez-vous tenter, le cas échéant ?

FM : En France, j’ai fait partie de la vie associative de mon école d'ingénieur, en organisant notamment une semaine complète au ski pour les étudiants. Le bénévolat m’a toujours attiré, donner de son temps et de son énergie pour une cause qui nous est chère est pour moi est une très belle action qui fait beaucoup de sens. J’essaie de m’engager dans des actions sur le climat telles que le nettoyage des rues ou encore la plantation d’arbres. J’aimerais également venir en aide au milieu social et proposer de mon temps à des jeunes pour les accompagner dans les devoirs d’école ou simplement organiser des activités avec eux.