De la fonction publique à l’entrepreneuriat : entretien avec David Beauvais

Entretien avec David Beauvais, président d'Alterum, et entrepreneur passionné par la transition énergétique

Jean-François Thibault (JFT) : Bonjour David, je vous remercie d’avoir accepté cet entretien. Vous êtes ingénieur et Président et fondateur d’Alterum. Vous comptez plus de 20 années d’expérience dans le domaine de l’analyse de données et du développement de logiciels énergétiques et climatiques. Votre parcours vous a amené à travailler pour des organisations de renom, par exemple Ressources naturelles Canada, Hydro-Québec, la Régie de l’énergie du Québec, le Conseil mondial de l’énergie ou encore AECOM. Finalement, vous détenez une maîtrise en administration publique (M.A.P.) de l’École nationale d'administration publique (ENAP) ainsi qu’un baccalauréat en génie électrique de l’École de technologie supérieure (ÉTS).Nous reviendrons dans un instant sur le projet Alterum, mais il m’apparaît d’abord opportun que l’on s’attarde sur quelques éléments clés de votre profil.

Commençons par le début : le choix du génie. Quand et pourquoi avez-vous décidé d’étudier en génie électrique?

David Beauvais (DB) : Tout jeune, j’avais un intérêt marqué pour les circuits électriques, ensuite pour l’informatique. J’ai connu “l’avant Internet” où on communiquait par modem pour s’échanger de l’information. Tout un réseau de télécommunication et d’échange de données était à construire dans les années 90 et le potentiel d’innovation dans le domaine des technologies de l’information m’a incité à poursuivre mes études à l'université.

JFT : Vous avez œuvré la majorité de votre carrière au sein d’organisations publiques ou parapubliques (ex. Ressources naturelles Canada, Hydro-Québec, Régie de l’énergie du Québec). Vous avez également obtenu une maîtrise en administration publique. Avez-vous toujours eu envie d’évoluer au sein de la fonction publique? Comment ce cheminement de carrière s’est-il présenté à vous? Quelles sont, selon vous, les opportunités et les contraintes de la fonction publique pour un ingénieur?

DB : Ça fait beaucoup de questions ! Je dirais que je suis arrivé chez Hydro-Québec par accident et que finalement, ce fut la meilleure chose qui me soit arrivée. Le domaine de l’énergie est passionnant. En plus, le processus d’accueil des nouveaux employés (la relève) était excellent. J’ai eu des collègues qui avaient fait carrière dans plusieurs secteurs de l’entreprise et avaient participé à plusieurs projets avec Hydro-Québec International. Avec mon coach on a été en mesure de moderniser les simulations de réseaux électriques, en utilisant de meilleurs outils de préparation de bases de données. C’est en réalisant l’impact du déploiement des TI en entreprise que j’ai décidé de poursuivre à la maîtrise, mais c’est l’administration publique, ou plutôt, le Management international qui m’a intéressé. Je voulais comprendre l’ensemble du domaine, ce qui se fait à l’étranger, les leviers politiques ou réglementaires pour pouvoir répondre aux problèmes d’accès à l’énergie propre, fiable et abordable.

JFT : En 2014, vous décidez de quitter la fonction publique et de fonder SG2B (« Smart Grid to Business »), une société de recherche et de conseil dans le secteur des microréseaux. Pourquoi avez-vous décidé de quitter la fonction publique – et la sécurité qui la caractérise – pour fonder une entreprise? 

DB : Ça faisait quand même 15 années que je participais à des prises de décisions en énergie et que je dirigeais de la recherche. Je voyais bien qu’on ne pouvait pas développer un outil informatique moderne et performant dans la fonction publique. Chaque jour, on est forcé d’utiliser des outils pensés et développés pour servir les intérêts d’un ministère ou pour assurer l’autofinancement d’un centre de recherche. C’est assez incroyable la quantité d’information que chaque organisme public garde pour elle et ne partage pas, pour plein de raisons. L’information c’est le pouvoir et le pouvoir est très dilué au gouvernement. J’ai quitté la fonction publique quand j’ai réalisé que seule une entreprise indépendante pouvait parvenir à résoudre ce casse-tête de collecte et mise à la disposition des données d’énergie et d’émissions.

JFT : En quoi votre passage dans la fonction publique influence-t-il votre style entrepreneurial, selon vous?

DB : Je n’ai aucun style! En fait, j’ai appris à travailler dans une PME avec mon père, ensuite j’ai débuté à Hydro-Québec, mais c’était “La Québec Power”, avec des collègues très compétents qui “n’allaient pas se faire dire quoi faire par Montréal”. Travailler chez HQ, c’est toujours très teinté de politique et j’aimais ça ! J’ai gardé cet esprit de “bâtisseur” pour servir le bien public. Je pense que c’est une chance que nous avons eu les Québécois de nous affranchir dans ce domaine et je crois qu’on a les atouts pour poursuivre sur notre lancée des années 60. Il faut juste se remettre sur un projet de société qui soit simple, clair et mesurable : La carboneutralité. En fait, comme fournisseur de solution dans le domaine, je me sens très à l’aise de parler d’un “Projet collectif” et d’y croire, c’est peut-être cette assurance que m’a donné de travailler pour plusieurs organismes publics. 

JFT : Entre 2014 et 2020, vous réalisez plusieurs études en lien avec les microréseaux et plus largement la transition énergétique. De laquelle êtes-vous le plus fier et pourquoi?

DB : Celle préparée pour le gouvernement Fédéral, dans les 75 communautés autochtones a été incroyable à réaliser et m’a fait prendre conscience de l’importance du “maître chez nous” ressentie par l’ensemble des communautés autochtones. Ce que nous avons présenté, pour la première fois, est une courbe d'abattement du CO2 qui inclut tous les projets, tous mis sur la même base de calcul afin d’identifier un $/Ton. On a même inclus le coût évité du réseau alimenté au diesel. Ça a fait ressortir toutes les subventions octroyées pour le diesel dans le grand nord et mis en lumière que l’argent n’était pas dépensé au meilleur endroit. C’était un excellent programme d’essai de technologie et ça nous a permis de sortir du silo des solutions micro-réseau purement électriques et de nous intéresser aux questions de planification énergétique communautaires au sens large. Fort de cette expérience, on a décidé de positionner notre outil pour les villes et les entreprises, car chaque communauté a des ressources naturelles, des bâtiments et des caractéristiques différentes. 

JFT : En décembre 2020, vous fondez Alterum, une « spin-off » de l’entreprise SG2B. Dans quel contexte et pourquoi avez-vous décidé de lancer cette nouvelle entreprise?

DB : Après 20 ans dans des projets d’innovation centrés presqu’exclusivement sur les entreprises d’électricité, j’en suis venu à la conclusion que les villes et les entreprises devaient avoir un outil de planification énergétique qui brise les silos d’information, qui permet à la haute direction et ses cadres de se comparer et investir sur les bons projets de décarbonation. Je n’ai pas fait une croix sur SG2B et le domaine de l’analytique des micro-réseaux, mais je constate que ce domaine n’est pas mature. Bref, je voulais offrir un produit informatique qui fait avancer l’adoption des technologies et non seulement la recherche. Ça, c’est Alterum.

JFT : Alterum a récemment reçu un financement de 350 000 $ de la part du Centre d’excellence en efficacité énergétique (C3E). Ce jalon marque d’ailleurs le lancement de la phase de commercialisation de l’entreprise. À quoi peut-on s’attendre de la part d’Alterum au cours des prochains mois?

DB : Les prochains mois seront consacrés aux preuves de concepts de l’outil Alterum avec différents milieux : municipal, associatif, immobilier et commercial. On a un gros réseau de partage d'informations à construire et on va travailler avec les leaders de l’action climatique.  Contactez-moi pour vous joindre à une cohorte existante.