Du génie à la gestion : entretien avec Jean-François Thibault
Entretien avec Jean-François Thibault, Directeur Stratégie et Consultation
Anjali Caillat (AC) : Bonjour Jean-François, vous avez rejoint récemment l’équipe d’Alterum en tant que Directeur, Stratégie et conseil. Après plusieurs années dans des grandes entreprises de génie-conseil, qu’est-ce qui vous a motivé à faire le saut vers une start-up aujourd’hui?
Jean-François Thibault (JFT) : C’est un retour aux sources pour moi que d’évoluer dans un environnement entrepreneurial. Non seulement j’ai amorcé ma carrière à mon compte comme travailleur autonome, mais j’ai également eu l’opportunité pendant mes quatre premières années sur le marché du travail de conseiller deux entrepreneurs du secteur énergétique canadien. Ce n’est qu’après avoir complété ma maîtrise en sciences de la gestion à HEC Montréal que j’ai évolué dans le milieu du génie-conseil. Comme j’avais un bon sens des affaires et que je n’avais pas un profil « technique », j’ai surtout joué des rôles de coordonnateur au développement des affaires et de consultant interne. Pendant mon dernier mandat au sein du domaine, j'ai d’ailleurs préparé un plan d’affaires pour évaluer la possibilité de lancer un nouveau secteur d'activité. Ajoutez à cela qu’à 31 ans j’ai déjà siégé sur deux conseils d’administration ainsi qu’un comité consultatif et tout indiquait que je reviendrais à l’entrepreneuriat un jour ou l’autre. M’y revoilà!
AC : Vous êtes actif dans les médias québécois depuis huit années. Vous nourrissez d’ailleurs depuis l’année dernière un blogue nommé « La parole énergétique ». Comment trouvez-vous vos sources d’inspiration? Quels sont vos défis? Comment votre intérêt pour la communication est-il né?
JFT : L’écriture est l’activité que je pratique depuis le plus longtemps: environ huit années comme vous le mentionnez justement. J’écris essentiellement avec l’intention de transmettre des connaissances utiles à propos du marché canadien de l’énergie. Je m’inspire certes de l’actualité, mais également de mes lectures. Avant d’être un auteur ou un commentateur, je me considère d’abord comme un lecteur.
Le principal défi que j’ai rencontré, médiatiquement parlant, a été de trouver la bonne approche pour communiquer. Si j’ai déjà écrit des billets d’opinion par le passé, je dois avouer que je me suis lassé, principalement en raison du fait que je trouvais que cela ne menait pas suffisamment le lecteur à prendre action. Quand on chronique, on conforte, on choque, au mieux on échange des idées, mais c’est au fond beaucoup de blablatage pour peu de concret. Mes analyses récentes se concentrent exclusivement sur les implications, les risques et les opportunités d’un contexte d’affaires ou d’une décision donnée. Ce format peut paraître moins engagé, mais il a l’avantage de donner des connaissances utiles au lecteur. Ce dernier peut ensuite les utiliser comme bon lui semble dans ses décisions personnelles ou d’affaires. C’est l’action humaine qui change le monde; pas le bavardage ni les délibérations infinies. Cela me rappelle d’ailleurs une citation de l’homme d’affaires David Ogilvy : “Search the parks in all your cities. You'll find no statues of committees.” On n’en trouve aucune de chroniqueur, du reste.
J’ai publié mes premiers articles dans le journal étudiant de l’ÉTS en 2014. À l’époque, je terminais mon baccalauréat en génie et j’étais très impliqué dans la vie étudiante de l’université. J’organisais des conférences midi sur les enjeux énergétiques. Je me disais que de publier des articles dans le journal contribuerait à faire connaître les événements que j’organisais. En plus, lorsqu’on écrivait un article, le journal nous donnait un certificat cadeau pour aller au pub de l’ÉTS, un bonus fort appréciable!
AC : Avez-vous toujours voulu devenir ingénieur ? Qu’est-ce qui vous a mis sur cette voie quand vous étiez plus jeune ? Vous êtes doublement ambassadeur de votre métier aujourd’hui: ambassadeur de la profession auprès de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) et ambassadeur de la relève auprès de l’École de technologie supérieure (ÉTS). Comment endossez-vous ces rôles ?
JFT : J’ai choisi le génie lorsque j’avais 16 ans. Pour moi, il s’agissait moins d’un choix passionnel que raisonnable. Venant d’un milieu ouvrier, je voulais améliorer mes conditions matérielles d'existence et me donner la chance de devenir cadre un jour. Également, comme mes forces académiques étaient essentiellement en mathématiques et en sciences, la profession d’ingénieur a logiquement émergé comme option de prédilection. J’ai d’abord fait une technique en électronique industrielle au collège Ahuntsic pour ensuite faire mon baccalauréat en génie électrique à l’ÉTS. J’ai été nommé Ambassadeur Relève de l’ÉTS au Gala des ambassadeurs en 2016. Je me suis également impliqué comme ambassadeur de la profession auprès de l’OIQ pendant deux ans. Je crois beaucoup en la promotion de la profession et de l’ÉTS, car je crois que d’étudier en génie a le potentiel de changer la vie de nombreux jeunes. La pandémie a mis à mal la motivation des adolescents et j’essaie autant que possible de leur envoyer le message que leur histoire n’est pas écrite d’avance et qu’ils peuvent aspirer à un avenir meilleur. Si j’ai pu convaincre ne serait-ce qu’un jeune de s’accrocher au rêve de devenir ingénieur et de ne pas lâcher, je me dis « mission accomplie ».
AC : Après avoir eu votre diplôme de l’ÉTS vous avez décidé de poursuivre vos études avec une maîtrise en management de HEC Montréal. Qu’est-ce qui vous a poussé à sortir du génie ?
JFT : J’ai adoré mes études en génie. En revanche, je me suis vite rendu compte que mes forces professionnelles – management, entrepreneuriat, communication, etc. – étaient fort différentes de celles de la plupart de mes collègues. Aussi, je n’avais pas l’ambition de devenir ce qu’on appelle dans le jargon un « lead technique ». Ces considérations m’ont amené à considérer une maîtrise en gestion plutôt qu’en génie. Or, si je me suis inscrit à HEC_Montréal plutôt qu’à McGill ou à une université américaine, c’est surtout en raison d’une rencontre : celle avec M._Joseph Facal, professeur titulaire au département de management. C’est un ami commun qui nous a présenté l’un à l’autre. Ça a cliqué. Il comprenait d’où je venais, mes ambitions, etc. Pendant la rédaction de mon mémoire de maîtrise – que j’ai fait sous sa direction –, il a été d’une attention et d’un soutien que j’ai rarement connus dans ma vie. Il voulait mon succès autant que moi et a su me guider tout au long de mon parcours à la maîtrise. Je lui dois beaucoup et nous restons encore en contact à ce jour, à mon grand bonheur.
AC : Dans le cadre de votre mandat chez Alterum, vous aurez à accompagner plusieurs entreprises dans leur plan d’action environnemental sur du long terme. Quelles sont, selon vous, les clés d’un accompagnement réussi ?
JFT : Alterum aide non seulement ses clients à produire leur bilan carbone, mais également à élaborer leur plan de décarbonation. Mon rôle est justement d’aider nos clients à traduire leurs ambitions en planification stratégique et financière concrète. Selon moi, la compréhension des besoins des clients est fondamentale. Celle du contexte au sein duquel ils s’inscrivent aussi. Tout part de là, en réalité. Nos clients ont des buts, des enjeux, des ressources et des contraintes qui leur sont propres. Un accompagnement réussi en est un qui réussit à élaborer des stratégies qui sont personnalisées et qui donnent les meilleures chances d’atteindre les objectifs fixés.
Un accompagnement réussi en est aussi un qui sait proposer autre chose à ses clients que la facilité, voire la paresse. Je m’explique : notre but est d’aider au possible nos clients à réduire effectivement leurs GES. C’est bien de compenser ses émissions en achetant des crédits carbone. Cela peut même s’avérer une solution judicieuse à court ou moyen terme, voire à long terme pour les émissions résiduelles. Par contre, si tout le monde ne fait qu’acheter des crédits sans chercher à décarboner ses activités lorsque cela est possible, non seulement la compensation finira par coûter une fortune, mais il y a fort à parier que nous ne parviendrons pas à atteindre nos cibles collectives de réduction.
Finalement, un accompagnement réussi en est un qui mesure les résultats obtenus par l’application des stratégies et qui propose au besoin des changements en cours de route.
AC : Vous êtes impliqué sur le conseil d’administration du Site historique Marguerite-Bourgeoys. Pourquoi ce choix ? Qu’en retirez-vous ?
JFT : Sainte Marguerite Bourgeoys était une femme de foi, mais elle était aussi une entrepreneure infatigable et compétente! Fondatrice et première éducatrice de Montréal, elle a non seulement fondé la Congrégation de Notre-Dame (CND), mais elle en a également assuré l’autonomie financière dès ses tous débuts. Les sœurs membres de la CND enseignaient gratuitement les lettres, la religion, les sciences et même certains travaux pratiques utiles pour survivre dans les conditions difficiles de la Nouvelle-France. Elles participaient également à des activités économiques qui leur permettaient d’assurer leur subsistance, de financer leurs écoles, etc. Fait rare à l’époque : elles étaient des sœurs non cloîtrées. Bref, loin de constituer une charge pour la colonie, elles en ont été un pilier. Que l’on ne connaisse pas davantage l’histoire de ces braves et charitables femmes me sidère. Leur exemple nous rappelle que la sainteté n’est pas qu’une affaire de contemplation ou de retrait du monde, mais qu’elle peut aussi prendre des allures concrètes dans les recoins du quotidien, du travail et de la vie en société.
Le Site historique Marguerite-Bourgeoys abrite justement un musée qui présente la vie, l'ambition et l’héritage de Marguerite Bourgeoys. Siéger sur son conseil d’administration me permet de contribuer à sa mission : « conserver, valoriser et transmettre à tous la mémoire de Sainte Marguerite Bourgeoys. »
AC : Vous avez pris position à plusieurs reprises sur les sujets de l’énergie et de la décarbonation, notamment via votre blogue. Avez-vous déjà envisagé une carrière en politique au vu de votre facilité à vous exprimer devant un micro ou une caméra ?
JFT : Comme je l’ai mentionné plus tôt dans cet entretien : si j’ai déjà écrit des billets d’opinion par le passé, mes plus récents écrits se concentrent sur la transmission de connaissances utiles au lecteur à propos du marché canadien de l’énergie. Je me tiens donc aussi loin que possible des prises de position politiques.
Maintenant, pour répondre directement à votre question : je n’ai jamais envisagé de me présenter en politique, en ce sens que je n’ai jamais eu de discussions avec un parti pour me porter candidat. En revanche, on m’a souvent dit qu’un jour je ferais un bon candidat.
De mon côté, je ne ferme pas la porte, mais voilà : je ne suis pas politicien de carrière et ne cherche pas à tout prix à me tailler une place dans la sphère politique. J’ai 31 ans, j’aime beaucoup ce que je fais dans le monde entrepreneurial et j’ai également l’opportunité de m’impliquer dans ma communauté comme je le fais, par exemple, au Site historique Marguerite-Bourgeoys. Me lancer en politique exigerait de tout laisser cela de côté. Par ailleurs, non seulement la vie politique exige-t-elle des sacrifices au plan professionnel, elle en demande au moins autant aux plans conjugal et familial.
Je me souviens avoir discuté de cette question avec M. Facal, peu après mes études de maîtrise. Il me disait avoir quitté la vie politique au début des années 2000, car il avait de jeunes enfants et que la conciliation politique-vie familiale était chose très ardue, en particulier dans ces circonstances. Je ne connais pas l'avenir, mais je devrais en principe fonder une famille pendant ma trentaine. Je me suis d’ailleurs récemment marié. Ainsi, me lancer en politique au cours des prochaines années m’apparaît comme quelque chose d’improbable.
Qui sait? Le timing sera peut-être un jour davantage favorable. L’avenir nous le dira!